21 Octobre 2025
Desertus Bikus 2025 : qu’allais-je chercher (et l’ai-je trouvé)?

Desertus Bikus 2025 : qu’allais-je chercher (et l’ai-je trouvé)?
Au moment d’écrire ces lignes, il y a un un peu plus d’un an presque jour pour jour, je m’inscrivais à la Desertus Bikus, une course d’ultracyclisme d’environ 1400 km, traversant l’Espagne du nord au sud, en reliant des points de contrôle imposés. Si à chaque fin d’été c’est pareil : mes jambes et mon corps sont épuisés de ma saison de vélo en cours, mon cerveau, lui, anticipe la suivante en rêvant à ses prochains défis et périples.
En franchissant la ligne d’arrivée de mon deuxième BikingMan, en Corse, en 2024, j’ai eu l’impression que ma tête demandait à mon corps s’il était prêt à tenter une plus longue distance. Les épreuves de la série BikingMan sont des boucles qui comptent 1000 km et près de 20 000 m de D+ à parcourir sur un itinéraire imposé, en moins de 120 heures. Bien que déjà colossales comme aventures, j’ai eu envie d’écouter la petite voix en moi qui me disait “et ensuite?”, alors j’ai fouillé le web et les réseaux pour trouver mon graal du moment.

La Desertus Bikus s’est imposée tout naturellement en tant que nouveau défi, avec son parcours libre à chacun, ses 1400 km et son arrivée très loin du départ, ce dernier étant donné à minuit, de surcroît. En plus, avec son très haut pourcentage de participation féminine, on me prenait par les sentiments; moi qui affectionne particulièrement ce thème et qui ai beaucoup écrit sur le sujet.
Une distance plus longue
Le réel défi, je le voyais surtout dans la préparation. Avril, c’est tôt dans la saison, surtout au Québec. Pas question de risquer une blessure. J’ai donc passé l’hiver à accumuler les heures sur ma base d’entraînement : près de 4000 km entre quatre murs, avec pour unique sortie extérieure 140 km sur pneus cloutés, un matin de verglas. Aussi bien dire que j’avais fait le plein de kilomètres, mais pas d’air frais.


Un parcours libre, à tracer soi-même
Beaucoup plus long et fastidieux que je ne le pensais, surtout pour quiconque habite de l’autre côté de l’Atlantique et ne maîtrise pas du tout la nomenclature routière espagnole. Au-delà de cette longue et angoissante planification, je craignais la solitude que ces parcours distincts pour tous m'imposaient et je n’avais pas tort, ce fut un de mes plus gros défis.

Crédit photo : Timo Schaper
Un départ à minuit
Moi qui suis très craintive de rouler la nuit, en plus avec des parcours différents pour tous, je savais que cet aspect serait difficile. Comment allais-je apaiser cette peur ne sachant pas si d’autres participants se trouvent près de moi? Comment allais-je traverser cette première nuit obligatoire en selle?
Quelques minutes avant le départ, alors qu’un orage vient de s’abattre sur le petit village de Hasparren et qu’un autre se prépare, j’ai une crise de larmes. Dans cette tempête émotionnelle, je doute de tout. Et si j’étais la seule à avoir choisi de longer la côte, au lieu de couper par les Pyrénées? Et si la météo était pire près de la mer? Et si mon entraînement à l’intérieur n’était pas suffisant? Et si mon choix de parcours était mauvais? Et si…? Le signal du départ retentit enfin et je m’élance aux côtés de ces quelques 250 autres folles et fous. Je tente de rester près du groupe de participants qui semblent avoir choisi, eux aussi, de longer la côte pour débuter leur traversée de l’Espagne. Ma confiance déjà fragile est légèrement ébranlée quand mon pneu avant crève, puis chancelle encore davantage quand la pluie glaciale fouette mon visage aux petites heures encore très sombres de ce premier élan cycliste en terres espagnoles. Ce fut une très longue première journée de 290 km et plus de 3000 m de D+.

Après coup, c’est toujours pareil : la nuit assombrit ma raison. Mais comme toujours, le jour finit par se lever. Et la lumière revient — dehors comme dans ma tête.
Les autres défis auxquels je n’avais pas pensé
La météo… dans ma tête, Espagne rimait avec chaleur, plages et palmiers… erreur, il peut faire très froid, surtout en altitude, bien que je pense que cette édition nous a particulièrement gâtés côté météo pourrie. Je n’aurais jamais pensé avoir plus froid sur mon vélo en Espagne qu’au Québec en avril… températures sous zéro, grêle, 15 cm de neige au sol, vents de face intraitables, etc.

Et puis, il y a eu l’épisode dont on se passerait bien : une agression en bord de route, à mi-chemin de ma traversée du pays — je la raconte plus en détail ici : Les raisons de la colère.
Ce moment a assombri la suite de ma course, évidemment, mais il m’a aussi rappelé qu’en ultracyclisme, on passe par toutes les gammes d’émotions et qu’il faut savoir changer de focus. Une faculté que je développe de plus en plus au fil de ces événements de longue haleine. Malgré tout ça, ou peut-être à cause de tout ça, j’ai continué à avancer, jour après jour, jusqu’à l’arrivée.
Au final, ai-je trouvé ce que je cherchais?
Oui, j’ai trouvé ce que je cherchais : des limites, de nouvelles peurs à affronter, et la certitude qu’on ne devient jamais plus fort sans un peu de vertige. Encore une fois, j’ai beaucoup appris et ma boîte d’anecdotes me permet encore plus de débrouillardise quand survient un pépin. Cependant, je suis mitigée à l’effet d’avoir encore envie d’allonger les distances… j’ai peut-être aussi trouvé ma mesure : entre 1000 et 2000 km, là où la fatigue et la solitude sont encore douces, sans le côté aigre. Enfin, je sais maintenant que je préfère les parcours imposés, tracés par d’autres, pour laisser mon esprit vagabonder.
Peut-être que c’est ça, finalement, que j’étais venue chercher : repousser mes limites, certes, mais surtout mieux comprendre où je me sens libre.
